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Et tout le temps perdu

15/11/2019

Il faudra s’y faire. La sortie d’un nouveau film de Xavier Dolan, comme toute « rock star » peut se le permettre, est depuis Mommy un évènement mondial. Avec ses hauts et ses bas. J’ai voulu attendre quelques mois, une fois l’agitation passée et les critiques que je pouvais entendre de çi, de là, attendre de le voir. Presque seul, dans une salle de Lyon. Et c’était magnifique et touchant

 

Matthias et Maxime est un grand film, film total puisqu’il semble mettre fin à un cycle. Avec comme prétexte le départ de Maxime pour l’Australie, et ses douze jours qui le précèdent, le metteur en scène semble signifier un adieu, un adieu au monde de l’adolescence et à celui de ses dix années de films.

Mathias et Maxime, c’est l’histoire du désir qui ne se dit pas, qui ne peut pas éclore – parce que l’homosexualité, le départ, la relation de couple. La grande invention du film étant de cacher par trois fois le baiser, l’aveu honteux, avant que n’éclate le travelling au ralenti en 65mm qui les montre cachés et amoureux, à côté de la scène sociale, à côté des amis, de ceux qui font la fête, qui ne savent pas pour eux ou feignent de ne pas y croire.

Mais ce qui fait de cette œuvre une croisade mature et fondamentale, c’est l’évolution et le lien qu’elle tisse avec ses autres films, non pas pour dire que ce film-ci est une suite, un dépassement, une citation de soi-même ; plutôt parce qu’il explique la nostalgie d’une époque qui s’est effacée derrière lui, d’un temps qui ne reviendra jamais, exprimée dans tous ses films. Il n’y a plus de madeleine proustienne possible : le départ en Australie et puis le noir du générique, triste fin mélancolique qui semble dire sans concessions un adieu définitif et formel.

 

 

 

 

Il y a d’abord les fresques sociales du film : les trois femmes bourgeoises qui gloussent et se gaussent, avec des vapoteuses, du monde moderne et de la créativité de leur fille ; l’homme d’affaire, forcément caricatural, forcément trop ; le quotidien du groupe d’amis, avec ses moments de lassitude et de rigolade, de drogue et de moquerie, d’exclusion et d’inclusion, comme si le couple Matthias – Maxime ne tenait que par ce procédé d’inclusion et d’exclusion, de haine - on pense ici à la fête catastrophe finale, et d’amour. Tout ceci prend donc désormais sens : les scènes sociales, violentes et abruptes, expliquent le départ, le non-désir formulé. Et on relit avec lui la nécessité du populaire, au sens positif, d’une classe moyenne triste et appauvrie, à laquelle notre génération, nous les jeunes, devons faire face, nous qui avons de toute façon compris trop tôt que ce monde était triste, dépressif et sans avenir. D’où le départ. D’où le retour en arrière. D’où les regrets.

Il y a ensuite l’homosexualité à travers le tryptique Maxime – Matthias – l’avocat, et les femmes. L’avocat, c’est cet homme propre et BG, qui ne regarde que sa bite, sans comprendre que ce qu’il cherche, c’est celle des autres. Il y a ce regard magnifique, en plein milieu d’un lieu de strip-tease glauque et effrayant, où le spectateur comprend le lien pathologique qui lie les hommes aux femmes. La misogynie n’est pas une réaction face aux femmes, elle est une violence qui extériorise une peur souterraine, celle de la pénétration et de l’homosexualité. Matthias, quant à lui, exprime une homosexualité plus touchante car possible et impossible : à travers le regard de l’avocat, il se voit hésitant et triste de ne pas y arriver, mais il y a sa copine et ce regard social, justement, omniprésent chez lui, terrible, auquel il tente de répondre par une position, parfois méprisante, au sein de son groupe d’amis. Le dernier, c’est Maxime, convaincu de son homosexualité mais jouant le jeu de l’hétérosexualité, même s’il en vomit, qu’il n’y comprend rien, qu’il essaie de l’oublier et d’effacer la vilaine tâche qui lui peint le visage, le marquant comme d’autres dans le Passé.

Finalement, si ce film est aussi essentiel, c’est parce qu’il est terriblement mélancolique. Plus que tous les autres. Et ainsi il scelle avec lui un cycle, qu’on appellera comme on veut, mais comme il y a eu Combray I et Combray II, il y a eu Pourquoi j’ai tué ma mère, Les Amours imaginaires, Laurence Anyways, Tom à la ferme, Mommy, et Matthias et Maxime. Il y a quelque chose d’Odette et Swann dans ce couple, mais mis en scène d’une toute autre manière, lié ontologiquement au monde social : parler du monde social n’a que d’autres finalités que parler de l’amour et inversement. Parler de l’enfance et de la famille, c’est chez Proust préparer l’arrivée du désir muet, puis concret et enfin aveugle et infidèle. Chez Xavier Dolan, tout semble avoir été pensé pour préparer ce long-métrage immense, pour expliquer pourquoi on ne les voit pas s’embrasser, pourquoi ils ne s’aiment pas et pourquoi cela est si triste et si touchant.

 

Le vendredi 12 Octobre, Xavier Dolan venait présenter en avant-première son film à Lyon, au Comoedia. Alors que je me baladais comme à mon habitude dans le jardin du Festival Lumière, je rencontrais une jeune amie, qui n’arrivait pas à parler parce qu’elle sortait de la présentation du film. Ils sont rares, ces cinéastes, qui provoquent ça. Bien sûr, il n’y a pas d’explications. Enfin, j’en ai tissé quelques-unes, superficielles et faciles, me direz-vous. Et vous me direz que je n’ai jamais parlé ici des imperfections formelles, des facilités scénaristiques, du mélodrame, de toutes ces choses qui forment la critique objective et rassurante pour le lecteur. 

Non, je ne l’ai pas fait et je vous emmerde. Ce film est d’une beauté radicale et m’a bouleversé. Parce qu’il nous montre la nécessité aujourd’hui du lien et de la durée, au sens bergsonien : la vitalité de vivre vite, puisque les autres nous moquent. La nécessité de prendre conscience que ce monde est une vaste supercherie, une vaste fiction qui ne sert qu’à nous montrer les choses essentielles à la vie : l’amour et le désir. En nous cachant l’essentiel, Xavier Dolan nous y plonge dedans.

 

Matthias et Maxime, de Xavier Dolan, avec Gabriel d’Almeida Freitas, Anne Dorval. 1h59, sortie le 16 Octobre 2019. Présenté en Sélection Officielle au Festival de Cannes 2019.

 

 

 

 

 

 

Benjamin Armand