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13/11/2020
La Flamme démarre par une présentation qui pourrait faire office de note d'intention:
«Dans la vraie vie, un homme qui mettrait en compétition une quinzaine de femmes les unes contre les autres serait considéré comme un immonde porc dégueulasse...mais ici, ce n'est pas la vraie vie. Bienvenue dans La Flamme».
La messe est dite: la série portée par Jonathan Cohen sera notre échappatoire comique durant cette fin d'année compliquée, une hymne au second degré qui se moque allègrement de ce qui se passerait dans la vie réelle.
Mais rendons à César ce qui appartient à César: le concept drôlissime de La Flamme provient de l'excellente web-série américaine Burning Love créée par Erica Oyama et Ben Stiller. Son histoire ? Sensiblement la même que celle de la série de Jonathan Cohen et Jérémie Galan: un séducteur complètement idiot cherchant à trouver l'amour dans une édition de dating. Les prétendantes improbables s'y succèdent au même titre que les situations borderlines, et à peu près tout le monde en prend pour son grade dans la joie et la bonne humeur. Pour peu qu'on soit familier aux diverses télé-réalités qui pullulent l'écran, c'est incroyablement drôle et à peine plus dingue que les différentes saisons du Bachelor.
Ce n'est donc guère étonnant que Burning Love ait tapé dans l’œil de Jonathan Cohen: l'irrésistible valeur montante de la comédie française avait trouvé dans cette histoire le terrain de jeu idéal pour faire exploser définitivement son talent comique. Pour ce faire, l'acteur révélé par Serge le mytho a voulu faire les choses en grand. Son ascension fulgurante ces dernières années n'ayant après tout échappé à personne, c'est armé de la bénédiction de Canal + que Cohen s'est entouré de tout ce que le cinéma français actuel comptait de plus prestigieux. Et à vrai dire, pourquoi pas ! Les personnages sont si atypiques qu'il y a là de quoi faire en matière de second degré, histoire de casser une image peut-être trop rigide pour certains.
Le casting dingue de La Flamme ( © Julien Panié - MakingProd / Les Films Entre 2 et 4 / Canal+ )
Et le résultat est là: sans surprise, tout le monde s'amuse à l'écran...ce qui peut autant réjouir que inquiéter. Après tout, la série peut n'être qu'une simple réunion de bons potes dont la pertinence est inversement proportionnelle à l'amusement de ses protagonistes. Mais La Flamme n'a rien d'une fête nous laissant sur le carreau, et c'est peut-être là sa plus grande qualité: celle de fédérer en jouant habilement avec les codes de la télé-réalité.
Sur une trame au départ quasiment identique à celle de Burning Love, La Flamme fonde son humour sur une base très simple: s'amuser avec absolument tous ses personnages, construits de manière à être fondamentalement idiots ou susceptibles de créer le rire. De fait, chaque épisode d'une durée de trente minutes (soit quasiment deux fois plus que ceux de la série américaine) enchaîne les vannes à vitesse grand V, au risque de fatiguer son spectateur. A ce titre, il faut être honnête: toutes les situations ne font pas forcément mouche. C'est que l'humour généreux a toujours ses risques, et il y a quelques pots cassés qui feront moins rire selon la sensibilité de chacun. De même, il est parfois difficile pour les scénaristes de renouveler la structure épisodique propre aux télé-réalités dont la série s'inspire ouvertement. Le fait est que certains épisodes tournent un peu en rond, s'imposant moins fièrement que d'autres pans de l'intrigue bien plus intenses.
Mais ces défauts, finalement peu handicapants, relèvent plutôt de l'exception qui confirme la règle tant l'écriture est souvent réussie. Bien sûr, et on ne l'apprendra à personne, il est difficile de faire plus subjectif que l'humour. Mais La Flamme a pour elle un argument de taille qui la rend bien plus intéressante que ce qui peut se faire ailleurs: elle préfère rire avec plutôt que de rire de.
Et quel autre meilleur exemple pour l'illustrer que le personnage de Marc ? Le protagoniste de la série est un imbécile fini doublé d'un être immature et maladroit, pouvant déclamer des atrocités sans même sourciller. Mais Jonathan Cohen a eu l'intelligence d'aborder Marc comme il a abordé Serge le mytho: en le nuançant. Malgré sa position toute puissante dans le jeu, Marc se fait ainsi recadrer à plusieurs reprises par à peu près tout le monde, n'évitant pas les humiliations qu'il fait subir à certaines candidates. Plus la série avance, plus l'interprétation de Cohen rend le personnage épais. Au fond, Marc est plus seul et pathétique que véritablement malveillant, et le spectateur se prendrait presque à avoir de la peine pour lui s' il n'était pas aussi insouciant concernant le sort des candidates. C'est peut-être là que réside la plus grande force de La Flamme: son humanité. Malgré la débilité ambiante du récit, la série ne juge jamais ses personnages et les rend aussi attachants que possible (si on excepte la psychopathe Alexandra).
A ce titre, il faut saluer le travail des comédiens qui sont tous formidables. Les énumérer serait bien trop long, mais leur amusement et leur envie de bien faire transparaît immédiatement à l'écran. Leïla Bekhti et Doria Tillier, chacune dans une forme d'outrance différente, sont absolument hilarantes. A l'inverse, les prestations très premier degré de Vincent Dedienne et Pierre Niney font des merveilles. La présence de Dedienne en particulier relève du choix de casting parfait, tant de nombreuses situations comiques reposent uniquement sur ses réactions de présentateur (et c'est encore plus flagrant lors d'un deuxième visionnage). Ana Girardot est peut-être celle qui s'en sort le mieux, car elle hérite du personnage le plus fouillé parmi les prétendantes: son évolution ne cesse de surprendre, et la série a l'intelligence de donner quelques clés sur son passé qui permettent de mieux appréhender son comportement.
Quelques regrets subsistent tout de même concernant les comédiens. Adèle Exarchopoulos n'a par exemple pas grand-chose à défendre: si l'idée du cœur de singe fait sourire, le personnage de Soraya n'existe malheureusement jamais vraiment dans la série. Le problème ne réside pas dans son jeu mais plutôt dans son écriture, qui a tendance à faire de Soraya une coquille vide. Son sort déçoit assez, tout comme celui d'Alexandra. C'est d'autant plus décevant pour Alexandra que Leïla Bekhti est de très loin l'attraction des premiers épisodes. Son personnage est à l'origine de scènes d'anthologie, et on ne peut qu'être frustrés de la façon dont elle est évacuée. On a parfois l'impression que passés les trois premiers épisodes, les scénaristes semblent dépassés par Alexandra et ne savent plus trop quoi en faire. C'est dommageable, mais encore une fois compensé par d'autres personnages mieux traités et des apparitions hilarantes à n'en plus finir (celles de Orelsan et Ramzy Bédia, pour ne citer qu'elles).
© Julien Panié - MakingProd / Les Films Entre 2 et 4 / Canal+
Il faut dire que l'énergie comique de la série l'emporte largement sur les bévues. La Flamme est une série follement généreuse: elle se fait certes parfois déborder par son nombre de personnages, mais sa sincérité et son ambition lui font tellement honneur, et les comédiens sont si impliqués, qu'il est impossible de passer un mauvais moment devant. Le rythme effréné et le soin accordé à la forme, qui s'efforce de reproduire les codes de la télé-réalité, ont un effet assez jouissif sur le spectateur. Si on y ajoute des choix musicaux volontairement exagérés et un très savoureux jeu sur le malaise (ah, ces silences), il est difficile de nier que la série regorge d'atouts comiques dont l'efficacité ne faiblit jamais.
C'est d'autant plus fort que la série se paye le luxe d'être très actuelle dans son récit, sachant s'arrêter bien plus tôt que son inspiration Burning Love. Sans trop en dire, les deux séries se finissent exactement de la même façon pour Marc, à une différence près. Là où Burning Love contient un épilogue qui remet en cause le choix de Marc, celui-ci se rendant compte qu'il n'était pas au courant de «certains détails» (ceux qui ont vus la série comprendront), La Flamme se passe de cet épilogue et sait s'arrêter au bon moment. L'amour que rencontre Marc à la fin de la série est pur, vrai et dénué de toute forme de jugement. Le côté inattendu de la situation peut faire rire mais tout de même: finir le récit de cette façon en 2020 fait marquer un beau point à La Flamme.
Une franche réussite, donc, qui a de quoi laisser impatient pour une saison 2 déjà annoncée en grande pompe. Preuve de plus qu'il n'y a pas que des mauvaises nouvelles en 2020.
La Flamme, de Jonathan Cohen et Jérémie Galan, avec Jonathan Cohen, Ana Girardot, Géraldine Nakache, Vincent Dedienne, Leïla Bekhti, Adèle Exarchopoulos, Doria Tillier, Camille Chamoux, Céline Sallette, Léonie Simaga, Laure Calamy, Marie-Pierre Casey, Florence Foresti, Angèle et Youssef Hajdi. 9 x 30 min. Disponible sur Canal + depuis le 12 Octobre. Présenté en avant-première au Festival Canneséries.
Anthony Coindeau
26/02/2020
© Diaphana Distribution
Benjamin Armand - FFS
La bande-annonce donnait les couleurs d’un film drôle, éclairant – le sujet n’étant pas banal : une psychanalyste s’installe à Tunis pour exercer son métier. Née à Paris, fille d’immigré, elle croit en sa profession et pense être plus utile en Tunisie que dans les boulevards français infestés de cabinets.
Le film se termine sur Io sono quel che sono de la chanteuse italienne Mina. Sublime chanteuse italienne, qui avait déjà éclairé le chef-d’œuvre autobiographique de Pedro Almodovar, Douleur et gloire, découvert à Cannes l’an passé et qui m’avait accompagné tout l’été. L’italien, l’italienne, la chanson…
Douloureux exercice que celui dont on m’incombe ! Pour les jeux de nos revues, il me faut écrire un mot ou deux sur le film. J’y concède sauf que voilà, je n’y arrive pas car je n’ai pas d’avis. L’exercice de la critique se doit être une délicate synthèse entre la trajectoire personnelle d’un spectateur absent et la trajectoire objective d’un art actif et vivant, autrement dit entre une forme de déperdition absolue et celle d’une emprise inégale.
Le reflet de fantôme qui est le mien se confirme : ni ma voisine de gauche, ni ma voisine de droite n’ont d’avis et semblent embêtées pour mon exercice de style. Me voilà donc, rassuré, devenant ainsi le parfait spectateur absent. Il ne me restait plus qu’à déceler l’active mise en scène dont il est question désormais.
Or, dans Un Divan à Tunis, il n’y a presque pas de mise en scène ou de recherche essoufflée. Un propos sur la psychanalyse ? J’ai peine à en trouver un, tant le film balance entre des représentations caricaturales et humoristiques de l’exercice, au point de se demander si la réalisatrice souhaite en faire une satire mordante ou un éloge tendre et affectueux. Une comédie sociale et populaire ? Certes, bien que le traitement du personnage transgenre ou du pays arabe laissent songeur sur les réelles intentions de la créatrice. Un film féministe ? Certes encore mais le film ne semble jamais s’y plonger totalement.
Et voilà le critique pris à son propre jeu, qui au moment de dessiner l’objet de l’œuvre n’y arrive pas puisqu’il n’en trouve aucun motif. Ce tapis est décidemment beaucoup trop flou pour qu’aucun spectateur ne puisse y trouver quoique ce soit. Cependant, certaines scènes sont bien pensées, d’autres mots excellemment trouvés ; et même, la séquence poétique, au cours de laquelle la psychanalyste rencontre métaphoriquement Freud, laisse une jolie émotion.
Il ne s’agit pas d’écrire une nouvelle partition – on se tromperait d’exercice ; car Un divan fait partie de ces films dont on pressent l’idée géniale, qui aurait dû marcher et en faire une œuvre importante. Faut-il se rappeler les comédies de Lubitsch et en particulier le populaire Jeux dangereux (To be or not to be). Film scandaleux pour l’époque, poignant d’intentions contre le troisième Reich et hilarant. La comédie dans ce qu’elle a de meilleur : lorsque l’objet est identifiable, le spectateur sait pourquoi il rit et y rit de bon cœur.
Dans Un divan, on ne sait pas pourquoi on rit, faisant du jeu un vrai danger. Peut-on moralement se moquer des névroses de patients ? Faire de la psychanalyse une vaste comédie burlesque ? Je ne suis pas un défendeur aguerri de ces modes thérapeutiques mais il semble qu’il se joue quelque chose d’effrayant. On ne se moque pas de l’exercice mais des types sociaux et des personnalités.
La réalisatrice s’appelle Manele Labidi. Un divan à Tunis est son premier film. Je n’avais pas envie d’écrire un mauvais papier – je l’ai fait à demi-mot ; car devant le degré de putréfaction du cinéma français, et en atteste les films à l’affiche pour les vacances de février, il faut reconnaître que le film apporte une fraîcheur certaine.
Et il s’agit d’un premier film. Qui n’est pas simple. Qui n’est jamais simple. Et qui, dans l’ensemble, arrive à faire passer un bon moment à n’importe quel spectateur absent.
© Diaphana Distribution
Alice Boucherie - L'Envolée Culturelle
Une psychanalyste, Selma, interprétée par Golshifteh Farahani, quitte la France pour installer son cabinet sur le toit de la maison de son oncle et de sa tante, dans une banlieue de Tunis. Elle laisse derrière elle le pays dans lequel elle a grandi depuis ses dix ans, ses habitudes, ses codes, pour retrouver son pays d’origine, duquel elle ne sait plus rien, hormis la langue. Elle se retrouve alors à plusieurs reprises dans des quiproquos nés d’une incompréhension mutuelle entre elle et les habitants. Le film se veut le récit d’une quête et d’une conquête de sa place dans une société où la parole est partout, mais où elle est tout sauf thérapeutique. Mais ce récit semble assez superficiel, ou du moins il ne va pas aussi loin que l’on n’aurait pu l’espérer. Et certains épisodes de cette quête semblent un peu clichés. Faut-il vraiment négocier, marchander et mettre devant le fait accompli pour que sa présence soit finalement acceptée ? Faut-il offrir des gâteaux à la secrétaire du Ministère de la Santé pour que son dossier soit étudié ? Les situations ainsi créées peuvent prêter seulement à rire à moitié.
Le parcours de Selma est semé d’embûches, qui se défont petit à petit par les rencontres et les liens qu’elle parvient finalement à tisser avec les gens. Mais c’est lorsque la situation semble bloquée, lorsqu’elle tombe en panne, littéralement d’ailleurs, qu’elle fait une rencontre aussi énigmatique que décisive, mais qui tombe un peu comme un cheveu sur la soupe, il faut bien l’avouer. Sous la chaleur écrasante, un mirage apparaît. Un petit vieux étrangement anachronique débarque avec sa berline noire aux vitres teintées. Tout droit sorti du cadre ornant le cabinet de Selma, Freud a pris chair, mais dans cette transformation a été oublié le Verbe. Leçon de conduite psychanalytique, Selma craque dans l’habitacle et se met, à son tour, à parler.
Cette parole thérapeutique, mise en scène dans cet épisode troublant mais pas pour autant dénué de charme, semble être ce dont les habitants de cette banlieue de Tunis ont besoin. L’ouverture du cabinet de Selma ouvre grand les vannes, et les confidences se mettent à couler à flots. Hichem Yacoubi rend le personnage de Raouf, le boulanger, à la fois assez touchant mais aussi très (trop) envahissant. Si on voit le personnage se libérer de ses angoisses et apaiser sa relation à lui-même par la parole, le faire apparaître au hammam dans un maillot de bain à grosses fleurs, sous les réactions outrées des clientes, est peut-être un peu « gros », ou un peu facile.
Pourtant Manele Labidi a lancé quelques pistes qui auraient pu donner à son film une profondeur et un aspect critique considérables. La plus notable d’entre elles apparaît au moment où Selma se rend chez son grand-père, malade, pour lui demander s’il a un contact au Ministère de la Santé. Le vieil homme presque mourant lui tend un portrait de Ben Ali, le président tunisien en place depuis la fin des années 1980 qui a quitté le pouvoir suite à la révolution de 2010-2011. Ce vieil homme est à l’image d’un système ancien qui se meurt peu à peu, et Selma essaie d’y substituer un autre système, fondé sur une libération de la parole. Or ce système vient d’Europe, alors quand on y pense un peu, sa démarche est limite colonialiste, finalement. Du moins, elle ne semble pas de très bon aloi. Pourtant, si les marques profondes d’un ancien état de la société étaient davantage montrées, la tentative de changement de paradigme social par la libération de la parole aurait très certainement gagné en justesse, mais aussi en justification. Parce que finalement, on ne comprend pas très bien ce que Selma fait à Tunis.
On ne peut pas dire que l’on passe un moment désagréable en regardant Un divan à Tunis. En revanche, on ne peut pas non plus dire qu’on a beaucoup aimé ce film. En fait, en dépit de sa fraîcheur, il laisse sur la langue un petit goût amer, au carrefour de la déception et d’une sorte de neutralité toujours un peu angoissante, surtout si l’on doit ou veut donner son avis.
© Diaphana Distribution
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11/02/2020
En ce vendredi 31 Janvier 2020 s’est achevée la toute dernière saison de Bojack Horseman, une série d’animation aux accents caustiques et crépusculaires réalisée par Raphael Bob-Waksberg et diffusée depuis le 22 Aout 2014 sur Netflix. Si la série fut tout d’abord saluée pour son style visuel marqué et aisément reconnaissable, Bojack Horseman a finir par séduire la grande scène sérielle pour son écriture et ses personnages. Autrefois acteur dans la sitcom à succès Horsin’ Around au cours des années 1990, Bojack vis désormais de solitude et d’analgésiques dans sa villa nichée sur les hauteurs d’Hollywood avec pour seule compagnie celle de Todd, un jeune rêveur aux idées candides qui occupe son canapé. Piégé dans sa profonde tristesse, Bojack souhaite désespérément que son image fasse peau neuve auprès du public, lassé de traîner l’image du cheval souriant en pull de laine qui tournait sur tous les petits écrans américains. L’acteur désormais cinquantenaire finit finalement par accepter qu’une jeune écrivaine entre en contact avec lui pour écrire ses mémoires, le tout sous l’impulsion soulignée de son agent et ancienne amante Princess Carolyn. Bojack apprendra ainsi petit à petit à se réconcilier avec lui-même, non pas que ce fut son intention première. Si la plus grande richesse de la série repose sur ses personnages alors la plus grande force de l’acteur s’exprime par son entourage.
Interprété par Will Arnett, le personnage de Bojack est froid, dépressif, porté par un sentiment d’infériorité permanent et par ses nombreuses erreurs qui le conduisent à pousser les limites de ses propres addictions à chaque fois que la nuit tombe et que sa solitude le rattrape. Depuis qu’il a perdu le succès, le cheval anthropomorphique se perd dans ses mensonges auprès de ses amis et dans ses fausses promesses faites à son agent. Dégoûté par l’image décrépie et peu flatteuse que renvoient les reflets bleutés de ses grandes baies vitrées, Bojack Horseman incarne cet archétype désormais figure essentielle d’Hollywood de l’acteur raté qui néglige sa vie, perdu entre les petits rôles polémiques de direct-to-dvd bas de gamme et les propositions sérieuses qui lui font redécouvrir le frisson de l’interprétation.
Le personnage de Diane, ancienne écrivaine attitrée de Bojack devenue son amie et sa confidente, se retrouve rapidement à devoir jongler entre les failles béantes de son mariage et ses rêves d’écriture, portés eux aussi par un passé difficile. Diane est un personnage fort, rêveur, elle se prend souvent à imaginer de meilleurs traits pour le monde qui est le sien. Si cette dernière saison lui permet finalement de trouver une paix à laquelle elle ne pensait jamais pouvoir prétendre, un mariage et un livre à succès comme point d’orgue à son histoire.
Bojack Horseman Wallpaper (Jackpost Travel)
A mon sens, Bojack Horseman est une série des plus importantes dans le paysage des séries actuel. A l’heure de la démocratisation du genre, les plateformes comme les modes de consommations se multiplient et la création sérielle occupe désormais une place de choix dans les productions audiovisuelles internationales. Bojack Horseman a connu un début tout au mieux mitigé, ne parvenant pas à se faire un nom en dehors de sa plateforme d’origine, son horizon d’attente ayant été majoritairement refroidi par une première saison jugée trop « en retenue ». Le public comme la presse pointait régulièrement un manque de force dans l’écriture qui, selon eux, amoindrissait considérablement les intentions de fresque dramatique du créateur. Cependant, si la série a obtenu ses 6 saisons que nous connaissons aujourd’hui, c’est avant tout grâce à un bouche à oreille très actif qui lui permit d’étendre son influence en dehors de sa zone d’effet initiale, notamment grâce aux internautes. Une fois son public bien établi, Bojack Horseman put prendre l’élan nécessaire pour écrire l’entièreté de son histoire, une histoire aux allures de drame social ponctuée d’une touche d’humour noir qui ne laisse pas sans rappeler d’autres grands représentants du genre, notamment chez Adult Swim (chaîne de télévision américaine). Maintenant que la série a atteint son point final, force est de constater que les critiques comme le public repartent conquis et marqués de cette expérience inhabituelle, tout du moins bien différente de celles qu’ils avaient pu connaître s’il ne s’étaient intéressés aux séries d’animations que tardivement. L’implication du spectateur pour Bojack Horseman est pour ainsi dire organiquement liée aux liens qui unissent les personnages, on se surprendra souvent à emprunter le regard de Diane ou de Todd face au mauvais comportement de Bojack, puisque telle fut la volonté première du créateur à l’amorce de l’écriture de la série.
C’est en cela que nous pouvons remercier la plateforme mère de Bojack Horseman qui, dans un élan de création de contenus originaux lancé il y a de cela quelques années déjà, a décidé de faire confiance aux choix du réalisateur. Le monde des séries tend aujourd’hui à confier les rennes de ses productions à des cinéastes aguerris qui viendraient apposer le sceau de leur expertise sur la fiche technique, permettant ainsi de promouvoir une création nouvelle par le grand nom qui la dirige. C’est notamment le cas de Love, Death and Robots, autre série d’animation originale Netflix signée cette fois ci par David Fincher et Tim Miller, deux réalisateurs stars qui ont pu expérimenter un nouveau format sériel avec plus de 16 formats d’animation différents. Dans un autre registre, les films Okja, The Irishman ou encore Roma incarnent cette nouvelle génération de films d’auteurs réalisés et produits sous l’égide d’une plateforme VOD qui laisse régulièrement tous les moyens entre les mains de réalisateurs, leur permettant non seulement de quitter les sentiers battus des voies de production habituels mais aussi de s’affranchir des pressions liées aux strates visibles des moyens de productions à gros budget. Dans le cas de Bojack Horseman, il s’agit bel et bien d’une démarche d’auteur validée par Netflix qui a permis à un réalisateur et à son équipe de réaliser une série intimiste en fonction de leurs propres intentions de cinéma.
Si la série marque autant les esprits, c’est souvent pour ce côté « sincère » que le public lui reconnait volontiers. Troublés par un tumulte de décisions difficiles et de moments de vie marqués par le changement, tous les personnages de Bojack Horseman échangent sans cesse dans la quête d’un bonheur qui continue de leur échapper épisode après épisode. Au centre de ce cyclone de mélancolie, Bojack tente tant bien que mal de maintenir sa propre vie à flot, bousculé par un passé familial douloureux et par ses mauvaises décisions qui iront jusqu’à le conduire au tribunal pour coups et blessures sur sa partenaire de plateau lors du tournage d’une série. Les personnages agissent comme les témoins sensibles d’une réalité bien proche de la nôtre, celle de la poursuite d’un idéal paradoxal. Une vie saine, un(e) partenaire parfait et un travail épanouissant, le tout cerné de nuits sans nuages au cours desquelles ils pourront s’asseoir sur le toit de leur propriété et regarder le monde bouger sans se soucier du lendemain. Cependant, cette utopie ordinaire continue de s’évanouir sous les coups de leurs mauvaises décisions, piégés dans des traumatismes et des névroses obsessionnelles qui ferment leur champ des possibles et qui les forcent à changer, changer pour guérir.
Sacha Dupeyron
Bojack Horseman Wallpaper (Jackpost Travel)
07/02/2020
Était-il seulement possible pour Adam Sandler d'être sauvé ? A un Punch-Drunk Love près, la carrière de l'acteur relevait globalement de l'aberration pure et dure, avec comme point d'orgue des chefs-d’œuvre de mauvais goût comme Jack et Julie ou Copains pour toujours. Et pourtant, à l'instar d'un Nicolas Cage dont la carrière ne cesse de creuser toujours plus loin, il n'est pas interdit de trouver le bougre sympathique, si ce n'est irrésistible. Au fond, Adam Sandler, l'auteur de ces lignes l'aime un peu. Il a beau se foutre de faire des bons films (et c'est peu de le dire !), sa joie et son jusqu'au-boutisme le rendent étrangement attachant. Appelons ça le paradoxe Adam Sandler.
Les frères Safdie avaient-ils ce paradoxe en tête quand ils lui ont confié le rôle de Howard Ratner ? Rien n'est moins sûr, mais le parallèle est à vrai dire plus que tentant.
Car Howard est un pur anti-héros...non, le mot est faible, Howard est un pur trou du cul qui joue avec les limites empathiques du spectateur en permanence. C'est un homme qui fait tous les mauvais choix. Il ne sait gérer ses finances. Il ne sait gérer sa famille. Il ne sait gérer ses employés, aussi. Et plus grave encore, il ne sait gérer sa sécurité et joue un jeu dangereux. Très dangereux. A ses basques, il y a des mafieux qui ne rigolent pas, des basketteurs opportunistes, des membres de sa famille, même. Chaque coin de New-York (qui n'a pas été aussi bien filmée depuis longtemps) devient le lieu d'un danger potentiel. Howard est acculé de partout et ne peut s'en prendre qu'à lui-même.
Le pire ? C'est que Joshua et Bennie Safdie arrivent à le rendre sympathique dans un numéro d'équilibriste d'une virtuosité rare.
Uncut Gems - Affiche © Netflix
Mais sur quoi se fonde cette réussite ? Tout d'abord sur l'écriture, d'une rigueur implacable. Uncut Gems est l'histoire d'un bijoutier juif doublé d'un parieur invétéré qui cherche inlassablement le coup qui va le rendre riche. Son arme ? Une opale trouvée en Éthiopie qu'il compte bien vendre aux enchères à prix très élevé. Mais ses dettes et ses pulsions autodestructrices vont le pousser à faire tous les mauvais choix. Pour son plus grand malheur, certes, mais aussi pour le plus grand bonheur du spectateur qui se retrouve embarqué dans une spirale complètement délirante et prenante de bout en bout. Le scénario de Uncut Gems est d'une exemplarité folle, parce qu'il combine étude de personnage et récit vertigineux soucieux de renouveler ses enjeux à chaque instant (alors que l'un prend de plus en plus le pas sur l'autre de nos jours, et vice-versa). C'est peu dire que le suspense est souvent insoutenable tant les auteurs-réalisateurs maîtrisent leur mécanique, et la dernière demie-heure du film ne manque pas de nous faire nous accrocher à notre siège. L'histoire d'Uncut Gems est une histoire qui réunit le meilleur des deux mondes, s'intéressant en permanence à la personnalité contradictoire de Ratner - parieur compulsif qui semble prendre du plaisir à se mettre en danger et qui souffre pourtant des conséquences de ses actes – mais aussi aux péripéties qu'il entraîne directement comme indirectement. Le film est un maelstrom narratif qui fascine grâce à la personnalité fouillée de son protagoniste. De ce point de vue-là, il n'est pas du tout interdit de détester Howard, tant sa bêtise et son impulsivité ne font qu'aggraver des situations déjà bien tendues. Mais quelque chose se noue entre le spectateur et le personnage, de plus insidieux et inexplicable. Sans qu'on ne l'explique, on prend plaisir à le suivre et on se met même à souhaiter qu'il emporte la mise tant convoitée. Il ne nous ressemble pourtant en rien, mais il incarne en même temps à lui seul la folie capitaliste d'un monde de plus en plus délirant. Howard Ratner est le reflet à peine déformé de nos penchants les plus absurdes.
Car sous le couvert d'un thriller tranchant comme une lame de rasoir, Uncut Gems parle de notre monde. Situer le récit à New-York, ville qui va à cent à l'heure, n'a clairement rien d'anodin: c'est un lieu central du capitalisme et de la consommation, là où les fortunes se font et se défont...là où des vies se jouent, même ! Howard n'a pas le temps de se reposer, pas le temps de penser. Une journée à New-York est une journée de combat pour trouver le bon coup qui épongera toutes ses dettes.
La mise en scène des frères Safdie, toujours sur le qui-vive, épouse cette folie. Le travail photographique opéré par un Darius Khondji au top de sa forme impressionne, et la direction d'acteurs hystérique renforce l'immersion au milieu du chaos général. A l'instar du déjà excellent Good Times, Uncut Gems est un film qui va toujours de l'avant et qui fonce tête baissé vers sa conclusion implacable, quitte à épuiser le spectateur en l'embarquant dans une cacophonie qui ne s'arrête jamais. Clairement, le cinéma des frères Safdie est un cinéma de la frénésie et de la perte de moyens, et Uncut Gems a déjà tout d'une forme d'aboutissement.
On pourrait employer bien des superlatifs pour qualifier ce film. Virtuose, certes. Éprouvant, surtout. Uncut Gems est une course contre la montre qui ne s'autorise que peu de répits. Ceux-ci sont bienvenus et creusent un personnage bien plus complexe que ne le laisse deviner son apparat bling-bling. Howard est un con, et au fond de lui, il le sait. Sans trop y croire lui-même, il cherche sa rédemption et le bonheur d'une famille qu'il n'a que trop négligée. Ça paraît bête dit comme ça, mais le duo de réalisateurs a l'intelligence de savoir poser sa caméra épileptique pour montrer l'envers du décor quand Howard a fini sa journée. Peut-être est-ce ces scènes qui rendent l'anti-héros finalement pas si désagréable à suivre. Ou peut-être est-ce l'interprétation toute en nuance de Adam Sandler.
Car ça y est, on y vient. Uncut Gems est le rôle d'une vie pour l'acteur, de ceux qui peuvent changer une carrière. Rien ne dit que Sandler ne va pas continuer les comédies débiles après l’œuvre des Safdie, et à vrai dire, cette option paraît extrêmement probable. Mais quand même. L'acteur fait preuve d'une énergie inespérée, et se livre à fond dans un rôle de composition qu'on n'attendait plus de sa part. Doublé d'un accent à couper au couteau, Sandler apporte une humanité assez inattendue à un rôle monstrueux. Il est aussi détestable qu'il est drôle, et surtout, il a un charisme indiscutable qui le rend proprement irrésistible. N'ayons pas peur des mots : Adam Sandler est absolument génial, et son absence aux Oscars est une injustice d'autant plus incompréhensible que le distributeur américain A24 a tout fait pour pousser son acteur jusqu'aux grandes cérémonies. En vain.
2020 sera peut-être l'année de Joaquin Phoenix, mais elle restera aussi l'année d'une résurrection artistique pour Sandler, ainsi que celle d'une confirmation pour deux auteurs qui sont décidément voués à compter. Uncut Gems est leur grand film à ne pas rater, une œuvre jusqu'au-boutiste qui reflète non seulement la personnalité de ses auteurs mais qui se paye aussi le luxe de prendre la forme d'un thriller captivant. Son épaisseur et son absence de manichéisme participent à sa virtuosité et à sa justesse. Et avec une telle maîtrise devant et derrière la caméra, croyez-le ou non, on a finalement bien envie de se refaire 2h15 au côté de cet insupportable personnage. On appelle ça la magie du cinéma.
Uncut Gems est disponible sur Netflix, et l'auteur de ces lignes vous en conseille le visionnage sans plus attendre si vous avez le cœur bien accroché.
Uncut Gems, de Joshua et Bennie Safdie, avec Adam Sandler, Julia Fox, Lakeith Stanfield, Kevin Garnett. 2h15. Sortie le 31 Janvier 2020 sur Netflix. Présenté en sélection officielle au festival du film de Telluride.
Anthony Coindeau
17/01/2020
Grace © Marion Filloque et Ophélie Bau
Gros plan. Fumée de cigarettes. Cernes. Cheveux en bataille. Il est presque difficile de croire que la jeune femme que l’on voit – interprétée par Ophélie Bau – est celle du post instagram qui s’affiche sur son écran
GRACE
Samedi 27 juillet 2019
STADE DE FRANCE
Sans savoir exactement quel jour nous sommes, nous devinons que quelque chose ne va pas. Nous ne voyons pas seulement l’envers du décor, la star qui se repose quand elle n’est pas en représentation. Il y a quelque chose de plus. Un ras-le-bol peut-être. Les lumières tamisées et le luxe de la décoration ne cachent pas le désordre qui règne dans cette pièce, un désordre à l’image du désordre intérieur de la personne qui occupe cette chambre.
Les vibrations incessantes du téléphone envahissent nos oreilles et les siennes. Grace est épiée, accaparée, enviée, jalousée. Même par Julie qui l’appelle. Malgré la musique très forte et les bruits de foule, on entend sourdre la colère et la jalousie : « t’as de la chance », ou encore « tes petits états d’âme là, tu te les mets là où je pense ». C’est violent. Très violent. Trop violent. Et toute cette violence vibratoire accompagne Grace dans la moindre de ses actions, jusqu’à son brossage de dents. C’est trop.
Alors elle nous fait rire Grace quand elle se prépare pour finalement…se mettre en pyjama et aller se coucher. Quel pied de nez, fallait oser ! Mais le rire est de courte durée. Les « petits états d’âme » étaient plus graves que ce que l’on pouvait imaginer. Cérémonie du coucher, la reine s’expose une dernière fois aux regards avides de ses millions de courtisan·e·s...
Grace © Marion Filloque et Ophélie Bau
Sous un format très ramassé, Ophélie Bau et Marion Filloque font poindre une douleur incommensurable et une pression sociale insupportable pour celles et ceux qui ont des métiers-vitrines et qui ont du mal à garder coûte que coûte le lisse du verre. À force de n’être considéré·e·s que comme des vitres blindées, iels finissent par exploser. Attention aux coups de bélier.
Vous pouvez voir et soutenir ce court-métrage en cliquant ici.
Alice Boucherie
28/12/2019
Classements des années 2010
Cinéma
Benjamin Armand :
1.Melancholia – Lars Von Trier (2011)
2. Carol – Todd Haynes (2015)
3. The Irishman – Martin Scorsese (2019)
4. Mad Max : Fury Road – George Miller (2015)
5. Mommy – Xavier Dolan (2014)
6. Réalité – Quentin Dupieux (2014)
7. L’Île aux chiens – Thomas Wes Anderson (2018)
8. Le Livre d’image – Jean-Luc Godard (2018)
9. Les Rencontres d’après minuit – Yann Gonzalez (2013)
10. Climax – Gaspar Noé (2018)
Anthony Coindeau :
1. Twin Peaks : The return - David Lynch (2017)
2. The Lost City of Z - James Gray (2017)
3. La La Land - Damien Chazelle (2017)
4. Inception - Christopher Nolan (2010)
5. Le Monde est à toi - Romain Gavras (2018)
6. Cartel - Ridley Scott (2013)
7. Skyfall - Sam Mendes (2012)
8. Mad Max : Fury Road - George Miller (2015)
9. Premier Contact - Denis Villeneuve (2016)
10. Climax - Gaspar Noé (2018)
Alice Boucherie :
1. La La Land - Damien Chazelle (2016)
2. Un Monstre à Paris, Eric Bergeron (2011)
3. Sorry We missed you, Ken Loach (2019)
4. Les Misérables, Ladj Ly (2019)
5. 120 Battements par minute, Robin Campillo (2017)
6. Interstellar, Christopher Nolan (2014)
7. L’Île aux chiens, Thomas Wes Anderson (2018)
8. Le Magasin des suicides, Patrice Leconte (2012)
9. Her, Spike Jonze (2014)
10. The Artist, Michel Hazanavicius (2011)
Freddy Forjat :
1. Interstellar - Christopher Nolan (2014)
2. Inception - Christopher Nolan (2010)
3. Shutter Island - Martin Scorcese (2010)
4. The Cloverfield Paradox - Julius Onah (2018)
5. Les Indestructibles 2 - Brad Bird (2018)
6. The Imitation Game - Morten Tyldum (2015)
7. Logan - James Mangold (2017)
8. Rocketman - Dexter Fletcher (2019)
9. Ça - Andrés Muschietti (2017)
10. Transcendance - Wally Pfister (2014)
Vincent Péré (une liste chronologique, mais pas de classement) :
Inception - Christopher Nolan (2010)
The Social Network - David Fincher (2010)
Her - Spike Jonze (2014)
Le Loup de Wall Street - Martin Scorsese (2013)
22 Jump Street - Phil Lord and Chris Miller (2014)
Your Name - Makoto Shinkai (2016)
Avengers End game - Les frères Russo (2019)
Man of steel - Zack Snyder (2013)
Ready Player One - Steven Spielberg (2018)
Spider-Man : New Generation - Bob Persichetti, Peter Ramsey et Rodney Rothman (2018)
Théâtre
Alice Boucherie (une liste chronologique, mais pas de classement) :
Modèles, Pauline Bureau, Cie La Part des Anges, 2011
Dans la République du bonheur, Elise Vigier et Martial Di Fonzo Bo (texte de Martin Crimp), 2014
Richard III, Thomas Ostermeier (texte de William Shakespeare), 2015
Richard III, Thomas Jolly, La Piccola Familia (texte de William Shakespeare), 2015
Ça ira - Fin de Louis (1), Joël Pommerat, 2015
Les Damnés, Ivo Van Hove (d’après le film de Luchino Visconti), 2016
Mon Coeur, Pauline Bureau, Cie La Part des Anges, 2017
Le Cercle de craie caucasien, Bérangère Vantusso, 10e promotion de l’Ecole Nationale Supérieure des Arts de la Marionnette (texte de Bertold Brecht), 2017
Taïga (comédie du réel), Sébastien Valignat, Cie Cassandre (texte d’Aurianne Abécassis), 2019
£¥€$, Cie Ontroerend Goed, 2019
Littérature
Alice Boucherie et Benjamin Armand (une liste chronologique, mais pas de classement) :
Sur la scène intérieure, Marcel Cohen, 2013
Krach, Philippe Malone, 2013
Mécanismes de survie en milieu hostile, Olivia Rosenthal, 2014
Vernon Subutex 1, Virginie Despentes, 2015
Le Principe, Jérôme Ferrari, 2015
Mémoire de fille, Annie Ernaux, 2016
Vers la beauté, David Foenkinos, 2018
Le Lambeau, Philippe Lançon, 2018
Qui a tué mon père, Edouard Louis, 2018
Sérotonine, Michel Houellebecq, 2019
La Clé USB, Jean-Philippe Toussaint, 2019
Classements 2019 - Cinéma
Benjamin Armand :
1. Les Misérables – Ladj Ly
2. Synonymes – Nadav Lapid
3. La Mule – Clint Eastwood
4. Douleur et Gloire – Pedro Almodóvar
5. The Irishman – Martin Scorsese
6. Le Daim – Quentin Dupieux
7. Matthias et Maxime – Xavier Dolan
8. Once Upon A Time…in Hollywood – Quentin Tarantino
9. Portrait de la jeune fille en feu – Céline Sciamma
10. Ad Astra – James Gray
+ Joker de Todd Phillips et Chambre 212 de Christophe Honoré.
Anthony Coindeau
1. Joker - Todd Phillips
2. Once Upon a Time... in Hollywood - Quentin Tarantino
3. The Irishman - Martin Scorsese
4. J'accuse - Roman Polanski
5. La Mule - Clint Eastwood
6. Parasite - Bong Joon-ho
7. Le Chant du Loup - Antonin Baudry
8. A Couteaux Tirés - Rian Johnson
9. Les Misérables - Ladj Ly
10. Ad Astra - James Gray
17/12/2019
En repensant au film – je faisais ma vaisselle, si cette information vous intéresse – je l’ai associé à un livre que j’avais lu plusieurs fois quand j’étais plus jeune, Journal d’un chat assassin, d’Anne Fine, illustré par Véronique Deiss. D’une part, Ensemble (2), pour toujours prend effectivement la forme d’un journal, chaque morceau étant introduit par un jour – du « Jour 13 » au « Jour 168 » – ainsi que par des titres donnant quelques éléments clés de la séquence, ou des obsessions du personnage que nous suivons. D’autre part, il joue sur un décalage semblable à celui que j’avais ressenti, enfant, entre l’image douce que j’avais du chat et les actes cruels auxquels se livrait Tuffy, le chat du livre. En effet, un gouffre incommensurable sépare l’émouvante interprétation de Your song d’Elton John par Fred – Freddy Forjat – et Violette – Emma Ganzin – et les féminicides que commet celui-ci, sans oublier le meurtre de Ludo – Ludovic Avinens. Du même coup, un gouffre identique sépare le court-métrage de Vincent et le moyen-métrage de Freddy, qui en est directement inspiré. Il s’agit d’une interprétation libre, à partir d’un matériau suffisamment suggestif pour que Freddy puisse lui donner toutes les directions possibles, y compris celle qu’il a choisie.
Il a également choisi, en adoptant cette forme du journal, d’essayer de nous faire adopter un point de vue que nous ne voulons justement pas adopter, celui de ce Fred, qui, avant même qu’il ne tue, semble déjà profondément malsain. Malaise devant l’écran. Nous voyons tout par son regard à lui, et nous observons alors longuement le regard expressif d’Amélia – Mathilde Monon – la deuxième jeune femme qu’il a choisie comme cible dans son désir de possession. Dommage, elle ne fait que pleurer, aimer, puis mourir ; nous aurions bien voulu sortir un peu d’un schéma hétérocentré plutôt classique, et voir Amélia agir davantage.
Si la voix de Fred, en off est une tentative d’autojustification de ses actes, et si, en parlant, il veut nous mener à croire que son amour éperdu l’a mené trop loin, il n’est évidemment pas question d’amour, nous le savons pertinemment : quand on aime, on ne tue pas. Ce Fred romantise les féminicides, il descend avec le cadavre d’Amélia dans une lumière éclatante, sur une musique épique. Cette scène illustre le décalage permanent, immanent au film il me semble, entre le fait d’être coincé.e dans le point de vue de ce personnage, et celui, en tant que spectateur.rice, de ne jamais y adhérer. Un décalage intriguant, et pas inintéressant à expérimenter, au demeurant.
J’émets des réserves sur l’hétéronormativité du schéma narratif du film, et donc sur la place que les femmes y occupent, ainsi que, d’un point de vue moins interprétatif, sur l’usage aléatoire du passé simple et du présent de narration dans le récit fait en voix off. À mon sens, osciller entre les deux sans faire de choix net n’est pas une solution viable, il aurait fallu trancher. Mais ces critiques mises à part, le premier moyen-métrage de Freddy comporte des propositions plutôt bonnes : parmi elles, je retiens particulièrement la forme du journal ainsi que l’impossibilité d’adhérer à un point de vue pourtant interne – ce qui n’est pas sans rappeler le procédé des Bienveillantes de Jonathan Littell, pour celleux qui ont lu ce long roman. Alors nous attendons un prochain film, pour voir comment le travail de Freddy évolue. Il va sans dire que nous vous encourageons à regarder Ensemble (2), pour toujours, afin que vous puissiez construire votre propre avis.
Alice Boucherie
15/11/2019
Matthias et Maxime est un grand film, film total puisqu’il semble mettre fin à un cycle. Avec comme prétexte le départ de Maxime pour l’Australie, et ses douze jours qui le précèdent, le metteur en scène semble signifier un adieu, un adieu au monde de l’adolescence et à celui de ses dix années de films.
Mathias et Maxime, c’est l’histoire du désir qui ne se dit pas, qui ne peut pas éclore – parce que l’homosexualité, le départ, la relation de couple. La grande invention du film étant de cacher par trois fois le baiser, l’aveu honteux, avant que n’éclate le travelling au ralenti en 65mm qui les montre cachés et amoureux, à côté de la scène sociale, à côté des amis, de ceux qui font la fête, qui ne savent pas pour eux ou feignent de ne pas y croire.
Mais ce qui fait de cette œuvre une croisade mature et fondamentale, c’est l’évolution et le lien qu’elle tisse avec ses autres films, non pas pour dire que ce film-ci est une suite, un dépassement, une citation de soi-même ; plutôt parce qu’il explique la nostalgie d’une époque qui s’est effacée derrière lui, d’un temps qui ne reviendra jamais, exprimée dans tous ses films. Il n’y a plus de madeleine proustienne possible : le départ en Australie et puis le noir du générique, triste fin mélancolique qui semble dire sans concessions un adieu définitif et formel.
Il y a d’abord les fresques sociales du film : les trois femmes bourgeoises qui gloussent et se gaussent, avec des vapoteuses, du monde moderne et de la créativité de leur fille ; l’homme d’affaire, forcément caricatural, forcément trop ; le quotidien du groupe d’amis, avec ses moments de lassitude et de rigolade, de drogue et de moquerie, d’exclusion et d’inclusion, comme si le couple Matthias – Maxime ne tenait que par ce procédé d’inclusion et d’exclusion, de haine - on pense ici à la fête catastrophe finale, et d’amour. Tout ceci prend donc désormais sens : les scènes sociales, violentes et abruptes, expliquent le départ, le non-désir formulé. Et on relit avec lui la nécessité du populaire, au sens positif, d’une classe moyenne triste et appauvrie, à laquelle notre génération, nous les jeunes, devons faire face, nous qui avons de toute façon compris trop tôt que ce monde était triste, dépressif et sans avenir. D’où le départ. D’où le retour en arrière. D’où les regrets.
Il y a ensuite l’homosexualité à travers le tryptique Maxime – Matthias – l’avocat, et les femmes. L’avocat, c’est cet homme propre et BG, qui ne regarde que sa bite, sans comprendre que ce qu’il cherche, c’est celle des autres. Il y a ce regard magnifique, en plein milieu d’un lieu de strip-tease glauque et effrayant, où le spectateur comprend le lien pathologique qui lie les hommes aux femmes. La misogynie n’est pas une réaction face aux femmes, elle est une violence qui extériorise une peur souterraine, celle de la pénétration et de l’homosexualité. Matthias, quant à lui, exprime une homosexualité plus touchante car possible et impossible : à travers le regard de l’avocat, il se voit hésitant et triste de ne pas y arriver, mais il y a sa copine et ce regard social, justement, omniprésent chez lui, terrible, auquel il tente de répondre par une position, parfois méprisante, au sein de son groupe d’amis. Le dernier, c’est Maxime, convaincu de son homosexualité mais jouant le jeu de l’hétérosexualité, même s’il en vomit, qu’il n’y comprend rien, qu’il essaie de l’oublier et d’effacer la vilaine tâche qui lui peint le visage, le marquant comme d’autres dans le Passé.
Finalement, si ce film est aussi essentiel, c’est parce qu’il est terriblement mélancolique. Plus que tous les autres. Et ainsi il scelle avec lui un cycle, qu’on appellera comme on veut, mais comme il y a eu Combray I et Combray II, il y a eu Pourquoi j’ai tué ma mère, Les Amours imaginaires, Laurence Anyways, Tom à la ferme, Mommy, et Matthias et Maxime. Il y a quelque chose d’Odette et Swann dans ce couple, mais mis en scène d’une toute autre manière, lié ontologiquement au monde social : parler du monde social n’a que d’autres finalités que parler de l’amour et inversement. Parler de l’enfance et de la famille, c’est chez Proust préparer l’arrivée du désir muet, puis concret et enfin aveugle et infidèle. Chez Xavier Dolan, tout semble avoir été pensé pour préparer ce long-métrage immense, pour expliquer pourquoi on ne les voit pas s’embrasser, pourquoi ils ne s’aiment pas et pourquoi cela est si triste et si touchant.
Le vendredi 12 Octobre, Xavier Dolan venait présenter en avant-première son film à Lyon, au Comoedia. Alors que je me baladais comme à mon habitude dans le jardin du Festival Lumière, je rencontrais une jeune amie, qui n’arrivait pas à parler parce qu’elle sortait de la présentation du film. Ils sont rares, ces cinéastes, qui provoquent ça. Bien sûr, il n’y a pas d’explications. Enfin, j’en ai tissé quelques-unes, superficielles et faciles, me direz-vous. Et vous me direz que je n’ai jamais parlé ici des imperfections formelles, des facilités scénaristiques, du mélodrame, de toutes ces choses qui forment la critique objective et rassurante pour le lecteur.
Non, je ne l’ai pas fait et je vous emmerde. Ce film est d’une beauté radicale et m’a bouleversé. Parce qu’il nous montre la nécessité aujourd’hui du lien et de la durée, au sens bergsonien : la vitalité de vivre vite, puisque les autres nous moquent. La nécessité de prendre conscience que ce monde est une vaste supercherie, une vaste fiction qui ne sert qu’à nous montrer les choses essentielles à la vie : l’amour et le désir. En nous cachant l’essentiel, Xavier Dolan nous y plonge dedans.
Matthias et Maxime, de Xavier Dolan, avec Gabriel d’Almeida Freitas, Anne Dorval. 1h59, sortie le 16 Octobre 2019. Présenté en Sélection Officielle au Festival de Cannes 2019.
Benjamin Armand
09/11/2019
Le Festival Tous Courts, qui a lieu cette année du mardi 3 au samedi 7 décembre 2019 à Aix-en-Provence, organise régulièrement, en parallèle du festival, des soirées de projection appelées « Le Cercle des courts ». Le mardi 5 novembre, au Théâtre des Gazelles, la soirée avait pour thématique « La passion amoureuse ». Pour celles et ceux qui l’ont vu, vous commencez peut-être à voir où nous voulons en venir…le court-métrage de Vincent Péré, Ensemble, pour la dernière fois, a été sélectionné pour cette soirée et a donc été projeté !
Pour les autres, ce court-métrage de trois minutes propose une vision de la rupture amoureuse suffisamment simple pour parler à tout le monde, et en même temps hautement symbolique, tout en restant, bien sûr, fondamentalement émouvante. Économe en paroles, le film de Vincent condense, avec humilité et sincérité, plusieurs étapes de la séparation, des étapes que beaucoup d’entre nous d’ailleurs essaient souvent de brûler ou de réduire à une seule, en vain. Entre le départ, les souvenirs qui ressurgissent sans cesse et la tentative désespérée d’enterrer une relation, Ensemble laisse une grande part à l’ellipse, aux non-dits et aux symboles, notamment à la fin – je n’en dirai pas plus –, ce qui nous permet de glisser des pans de notre propre histoire dans les interstices ainsi créés. Le film est très court, mais notre implication émotionnelle et personnelle, lorsque nous le regardons, est profonde.
Nous tenons à féliciter Vincent pour son court-métrage touchant, et pour cette projection, qui est de bon augure pour la suite !
Pour voir, revoir et re-revoir Ensemble, pour la dernière fois, c’est par ici !
Et nous vous laissons avec les jolies bouilles de Vincent et Freddy !
Alice Boucherie